The Track – JCPT en Australie en soutien au projet Bogdan

27.10.2023

Il est des courses qui savent se faire attendre. L’Australia The Track, course itinérante de 520 km entre Alice Springs et Ayers Rocks en Australie, est de celle-là.. Initialement, Anne, Caro, Sandrine et moi-même, devions prendre le départ de cette course à la hauteur de sa démesure en 2020. Mais le covid est passé par là. La course a été repoussée en mai 2023.

L’Australie, c’est loin, très loin. Sur une mappemonde, tout en bas, à droite (ou à gauche, selon l’orientation de chacun). En avion, c’est 30h de voyage en avion, voire plus si les aléas des correspondances s’en mêlent.  Une escale à Sidney, où nous retrouvons une grande partie des participants, pas le temps de voir l’opéra, avant l’arrivée d’Alice Springs. Alice Springs est le point de départ de notre périple. Plus exactement, le point de ralliement. Nous y restons 2 jours, le temps d’absorber partiellement les 8h de décalage horaire et de peaufiner nos sacs à dos. Important le peaufinage des sacs, trouver le correct compromis entre le poids à porter et les affaires à emporter. Combien de fois auront-ils été emballés, déballés, organisés, désorganisés au cours de ces dernières semaines pour trouver l’agencement adéquat ?  A l’exception des tentes, fournies et installées par l’organisation chaque soir de bivouac, ces sacs contiendront notre maison le temps de la course : lit, sac de couchage, nourriture, hygiène, vêtements, pharmacie, doudou….

16 garçons et 9 filles sont au départ.  Des coureurs, des marcheurs, des coureurs-marcheurs. Anne est notre doyenne. Une quarantaine d’année la sépare de Filippo, le benjamin du groupe.

Un bus nous emmène aux Glen Helen Gorge, d’où la course partira. Le paysage Australien est ocre. Le centre de l’Australie est nommé le « Centre Rouge », le bien nommé. Cette terre, argileuse et siliceuse, colorée par des oxydes de fer rouges, se détachant sur un ciel au bleu pur azur, va nous accompagner pendant presque 10 jours et collera encore à nos chaussettes après moultes lessives…  Une escapade dans les montagnes aux sentiers jaune clair et à la végétation au vert délavé et bigarré, des passages dans les lits de rivières blancs caillouteux nous permettront néanmoins d’agrémenter la palette de nos souvenirs visuelles d’autres couleurs.

 Glen Helen Gorge gorge se situe dans le parc national Mac Donnell Ouest, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Alice Springs. A première vue, c’est une aire de camping pour randonneurs et amateurs de la nature. Une minime exploration nous révèle un plan d’eau permanent, artisan de la beauté du site. Les tentes ont été plantées par l’organisation.

L’excitation monte, demain vérification des sacs et contrôle médical.  Double stress pour Tita, dont la valise et la nourriture ont été perdus par British Airways : il lui faut reconditionner et étiqueter toute sa nourriture. Heureusement les copines sont là pour aider….

Première soirée au coin du feu, premier ciel nocturne australien, premier sourire de lune, premier ronflement dans les tentes voisines….

Les vérifications des sacs et les contrôles médicaux se font selon une liste préétablie, un horaire à respecter pour chaque coureur. En théorie…car dans la pratique, émerge toujours « le concurrent casse-friandise », celui qui fait se gripper les rouages, et transforme une formalité en calamité… Nous prenons un peu de retard…  Chef of team Jérôme m’a l’air bien énervé, j’espère que je n’ai rien oublié…

Finalement, Docteur Bruno et Chef of Team Jérôme valide notre participation à toutes les 4 à l’Australie Track (ouf, après tant de chemin parcouru, le contraire eut été ballot) et nous récupérons  le road book et nos dossards. Début de l’atelier fixation, pas le plus simple : trouver où placer ce rectangle de papier, à un endroit visible mais surtout pas gênant, est souvent un casse-tête chronophage ….

 Que nous dit ce roadbook ?

9 étapes à venir. Une traversée du bush australien comme plat de résistance, avec en entrée, sur 2 jours, pour la mise en jambe, un passage dans les Monts Mac Donnel, chaine de montagne australienne culminant à 1531 m, et en dessert une arrivée à Uluru, imposant monolithe au cœur du « centre rouge »et massif sacré pour les aborigènes.

Le roadbook nous éclaire sur les étapes, les distances, les contraintes horaires.

J’appréhende la limite horaire au 30 km de l’étape 2, étape de montagne, et le temps limite de 10h qui s’applique pour toutes les étapes. J’ai des doutes pour certaines d’entre elles, sachant qu’il me sera dur de tenir le rythme. Courir avec un sac de 9kg sur le dos change tout de même un chouia la donne…Je suis au taquet, il est temps que le départ soit donné.

Dernier briefing de l’organisation, départ prévu demain à 08h00. L’arche de départ est plantée, elle n’attend plus que nous… Patience, patience…demain, demain…

Et maintenant, place à la course !!!

Mais comment raconter une course ?

La logique voudrait une description précise des étapes, point de départ, point d’arrivée, kilomètres parcourus, paysages rencontrés, difficultés du terrain, limite horaire, check point, agrémentée d’impressions personnelles, de ressentis…

Mais ma course à moi, c’est surtout un panaché de souvenirs, de moments particuliers, inattendus, parfois difficiles, souvent inoubliables :

              L’arrivée à Alice Springs, ma joie enfantine devant les statues de Kangourous et Koalas à l’aéroport, cette satisfaction de « ça y est, on y est » ;

              Mes premiers contacts, perturbant, avec les aborigènes qui pour beaucoup, semblent fracassés par la vie, soulevant des interrogations sur leur place dans la société Australienne ;

              Le voyage en bus vers Glen Helen George, avec Giuseppe qui monte dedans à l’arrache, arrivant directement de l’aéroport, son avion en provenance d’Italie venant de se poser ;

Les deux premières journées de course, montagneuses, avec des sacrés montées coup de cul, et Shams le photographe, nous accueillant au sommet, glissant un mot d’encouragement, avec en prime un travelling de drone ;

Anne et Tita qui se perdent lors de la première étape, le serre fil qui les retrouvent tardivement, et qui gardent le sourire malgré l’impact sur le reste de leur course,

Caro et moi échangeant par-dessus un vallon « c’est par là Caro » ;

 

Les cris de Dominique, blessé en fond de vallée, entendus alors que j’étais dans la montée suivante, et Caro qui me raconte que 3 personnes sont passés devant lui, la tête en sang, sans s’arrêter (bonjour la solidarité du trail, il y aurait des basiques à revoir) ;

Marisa qui se fait recoudre la tête, 6 points de suture, après une chute et qui repart le lendemain ;

Idem pour Guiseppe, blessé au niveau de la main, recousu, et qui repart ;

Ma montre et les kilométrages, jamais en raccord avec les kilométrages annoncés sur le roadbook ;

Moi râlant parce que, selon ma montre, les check point ne sont jamais aux kilométrages annoncés (cf ci-dessus) ;

Les fous rire de Nicole et Tita dans la tente voisine ;

Moi perdue au milieu d’un lit de rivière, ne trouvant pas le check point, la limite horaire courant, hurlant « mais vous êtes où, vous êtes où », pas loin de jeter mon sac et d’abandonner ;

Caro tentant de parler anglais, ne comprenant rien aux paroles de Heather, une bénévole australienne, et mes fous rires lors de leurs échanges ubuesques ;

Heather nous disant que les 4 derniers km à parcourir ne sont que de la route, après des km de sable, faisant émerger chez nous un espoir de facilité, vite effacé par la réalité sablonneuse du chemin final ; Les référentiels de routes ne sont vraiment pas les mêmes entre la France et l’Australie ;

Le Pick up ensablé au départ d’une étape, la difficulté de l’équipe d’organisation pour le ressortir, mais devant quand même lancer la course ;

Les Australiens s’arrêtant, nous demandant « mais quelle est donc cette course que vous faites ? AMAZING !!!!!! » ;

Les couleurs flamboyantes des oiseaux ;

Ma frayeur en voyant un long serpent sur la route, mon soulagement en voyant qu’il est écrasé, faisant retomber l’adrénaline dans mon palpitant après une montée vers de haute sphère ;

Anne croyant que je lui désigne un koala dans les arbres, qui restent en dessous en espérant le voir ;

Rosa et sa tactique du lézard, ne quittant pas son blouson même sous 40 degrés pour emmagasiner de la chaleur et la restituer pendant la nuit, ne souffrant pas ainsi de la fraicheur de celle-ci (tactique à ne pas essayer sur tout le monde, si vous voulez mon humble avis, au risque d’un coup de chaud) ;

Mon releveur qui s’irrite, et qui répercute son irritation sur mon bas de jambe gauche, par un gonflement progressif dont l’apothéose sera au posé de l’avion retour ;

La multitude d’étoiles la nuit, la voie lactée traçant un chemin cotonneux bien visible dans le ciel ;

Tita chantant sur les pistes ;

Caro et moi ayant un contrat de temps à réaliser pour finir une étape avant la limite horaire, moi qui dis à Caro de partir, ne trouvant pas ma frontale dans mon sac et devant tout déballer au milieu de nulle part pour la trouver, courant sur une piste australienne dans la nuit noire, les phares d’une voiture me désignant la ligne d’arrivée pour me permettre de passer la ligne 1s avant la fin de la limite,

Anne qui fait son bonhomme de chemin, qui nous impressionne par sa ténacité et sa tranquillité ;

              Jacob qui abandonne parce qu’il n’a plus le fun, parce que ces courses-là, cela doit être avant tout du fun ;

Les champions qui nous mettent 3 à 4 heures dans la vue à chaque étape (voir plus) mais qui ne nous regardent pas de haut, et prépare le feu pour le soir ;

Les repas lyophilisés qui ne passent pas, les carambars que je partage avant de partager les blagues carambars (écrites à l’intérieur de l’emballage pour ceux qui ne connaissent pas)

Mes 5 premiers jours de course, où je m’arrache comme jamais, où ma tête et mon corps s’accordent pour ne jamais lâcher ;

Mes 5 derniers jours de courses, où ma tête dit stop avant mon corps, ne faisant pas les étapes en entier, mais profitant différemment ;

Mes inévitables réflexions « mais qu’est-ce que je fais là ? Plus jamais ! on ne m’y reprendra plus », qui s’effacent et que j’oublie dès la ligne d’arrivée passée ;

L’équipe de bénévoles, qui nous motivent peut-être parfois au-delà du raisonnable ;

Le départ dans la nuit, le lavage des baskets dans un liquide désinfectant avant d’entrer dans le domaine de Curtin Springs et le lever de soleil sur le mont Conner, que l’on confond au premier abord avec Uluru ;

La première gorgée de bière, fidèle à celle décrite par Philippe Delerm dans son livre, après 10 jours de course à la station de Curtin Springs  ( et oui encore lui) ;

Notre dernière nuit dans la tente et mon premier accrochage avec Caro au petit matin, il en fallait bien un ;

Les derniers kilomètres sur la route avant de bifurquer vers Uluru, majestueux monolithe, tout en râlant une dernière fois sur le kilométrage (mais s’il n’y a pas de râle, il n’y a pas de plaisir…) ;

Hervé, dont le corps se transforme en Tours de pise au fur et à mesure des kilomètres parcourus, la cassure se situant au niveau de sa taille, sa tête se décalant complètement de l’axe de son corps, nous assurant « c’est impressionnant, mais cela ne fait pas mal » ;

La ligne d’arrivée qui approche, l’émotion qui monte ; les embrassades, les larmes, la fierté !!!!!!

La ligne d’arrivée est passée. Nous retrouvons les autres coureurs. Ceux qui ont parcouru les 520 km et seront classés au temps, et ceux, qui, comme nous, n’ont pas fait certaines étapes en entier et seront classés selon la distance parcourue. Nous accueillons Peter et Hervé, les derniers coureurs. Nous prenons des photos de groupe, ultimes souvenirs de ces 10 jours passés ensemble. Nous mangeons un brunch cuisiné par Christelle sur un morceau de terre ocre Australienne. Café, œuf, bacon, pain, jus de fruit, une orgie gustative après 10 jours de Lyophilisés…

Il est temps de rejoindre l’hôtel.

Voilà 10 jours que je n’ai pas pris de douche. Malgré mes toilettes de chat journalière, je sens très mauvais, les effluves s’échappant de mon sac de couchage au fur et à mesure des jours de course en sont la preuve. Je n’aurais jamais pensé que récurer la crasse entre mes doigts de pieds me procurerait un jour un tel plaisir. Il est vrai que c’est la première fois que j’atteins ce tel degré de saleté !!! Sans parler du reste du corps…

Nous voilà donc de retour dans la « civilisation ».  Le danger est de se reconnecter trop vite à la réalité, et malheureusement, je tombe un tantinet dans le piège. J’essaye de temporiser le désir du partage immédiat, le piège des réseaux !

La remise des « prix » est organisée face à Uluru. Elle clôture parfaitement cette aventure. Je suis admirative des 10 coureurs qui ont clôturé les 520 km, 1/3 des participants au départ. Mention spéciale à Hervé qui devient le premier Français à terminer les 5 ultramarathons du Roadsign Continental Challenge.

 Où sont passés ces 17 jours. Comme toujours, je trouve que le temps a passé trop vite, qu’il s’est compressé sous l’intensité des moments vécus. J’aurais aimé profiter un peu plus de l’Australie, découvrir ce pays-continent où je ne suis pas sûre de retourner un jour. En passant la ligne d’arrivée, ma décision était de ne jamais retenter cette course…Mais je me connais, mes « jamais » glissent souvent vers des « peut-être » et finalement vers des « pourquoi pas ». La prochaine Australia The Track est en 2025. Alors jamais, peut-être, pourquoi pas ? On fait quoi les filles ?